Last Updated on 28 novembre 2021 by Sophie

L’univers des pâtes

L’univers des pâtes est assez vaste : pâtes fraîches ou sèches, pâtes tréfilées, roulées, laminées ou râpées, pâtes farcies…

1) Pâtes fraîches et pâtes sèches

Il y a, pour commencer, les pâtes fraîches (immédiatement prêtes à l’emploi) et les pâtes sèches (paste secche destinées à la conservation).

2) les pâtes râpées, laminées, roulées, tréfilées

a. pâtes râpées ou émiettées

Les ancêtres sont sans conteste les pâtes râpées ou émiettées (cf. bappiru-s et risnatu-s mésopotamiens, tracta gréco-romains); il suffit de presser un pâton séché ou non contre un tamis grossier ou sur le fond d’une passoire afin de le réduire en bribes qui sont ensuite pochée.

L’actuelle pasta grattugiata est confectionnée de la même façon : le pâton est râpé et les débris de pâte ainsi obtenu sont cuits dans un bouillon.

Les modernes trahanas sont fabriquées d’une manière légèrement différente avec une pâte abaissée par laminage au rouleau; la feuille est ensuite découpée en morceaux qui sont mis à sécher avant d’être émiettés contre un tamis. En somme, les trahanas relèvent à la fois de la famille des pâtes râpées et de celle des pâtes laminées. On les rencontre non seulement en Grèce mais dans les Balkans, au Proche et Moyen Orient.

trahanas

trahanas

Le procédé de l’émiettage/râpage de la pâte est sans doute né dans les milieux de la brasserie en Mésopotamie (tout comme en Egypte pharaonique d’ailleurs). La bière (Sikaru en Akkadien, kas en sumérien) est en effet brassée avec un pain préalablement émietté. Le kwas russe est toujours préparé de cette façon. Ce n’est donc pas un hasard s’il porte le même nom que son ancêtre sumérien.

b. pâtes laminées

La technique du laminage caractérise les pâtes de la seconde génération. Elle est sans doute née du monde greco-romain. L’abaisse appelée lagana (ou itria) sert notamment à réaliser des lasagnes pasticciate avant la lettre.

C’est de la Perse préislamique que semble provenir l’idée de découper l’abaisse en lanière plates plus ou moins fines. Les arabes la reprennent et l’approfondissent, comme en témoigne la littérature culinaire, élaborée à partir du X° siècle sous le règne éclairé des califes abbassides de Bagdad : les rhista-s, lakhsha-s et itriyya-s sont les ancêtres des modernes tagliatelles, fettucine (moins larges) et linguine (plus étroites encore).

rishta

rishta

Si désormais, ceux-ci sont le plus souvent fabriqués mécaniquement, d’aucuns sont toujours fait a casa. Depuis le Moyen Âge, les italiens utilisent une technique permettant d’accélérer le travail. Les abaisses sont enroulées autour d’un gros bâton qui est aussitôt retiré. Un saucisson de pâte est ainsi formé; il est découpé en rondelles plus ou moins larges qui, après avoir été débobinées forment des tagliatelle de différentes largeurs.

Elles permettent ainsi de contrefaire des figures géométriques. Les actuels crozets savoyards, n’wasir-s tunisiens, quadrittino italiens, hilopittes grecs, mandels israéliens ont une forme carrée; ces pâtes peuvent aussi bien être faites mécaniquement qu’à casa. l’abaisse à hilopittes est, après avoir été enroulée et tronçonnée selon la technique italienne, découpée à la main en petits carrés d’environ 6 mm².

c. les pâtes roulées

A peu près à la même époque, apparaissent dans l’Empire maghrébo-andalou fondé le califat omeyyade de Cordoue au X° siècle, des nouvelles catégories de paste qui n’entrent pas dans la famille des pâtes laminées mais dans celle des pâtes modelées a manu. Celle-ci sont fabriquées en morcellant le pâton (non abaissé) en petites portions régulières, qui sont roulées sous les paumes de la main ou façonnées entre les doigts. Des formes diverses sont ainsi réalisées :

1° le célébrissime couscous imite les ultra-fines semoules

2° les fidaw-s façonnés sont

– soit graniformes et ressemblent donc aux kritharaki grecs, puntalette (voire risoni) italiens ou pevide portugais (qui en dérivent étymologiquement); mais ceux-ci proviennent des usines et ne sont en principe plus préparés a manu.

– soit pisiformes. A l’instar des pisellini italiens (bien nommés) et cuscus portugais ( mal nommés: puisqu’il est plus gros que sont homonyme maghrébin et cuit à l’eau). Eux aussi, sont généralement de facture industrielle et donc rarement fait « main ».

– soit vermiformes ; ces fidaw-s font font partie de la famille suivante: celle des itriyya-s (dits aussi atriyya-s en Occident). Leurs modernes descendants catalans, les fideus, sont désormais fabriqués mécaniquement.

3° Contrairement aux itriyya-s orientales, leurs homologues occidentales sont roulées (et non découpées). Elles ne sont par conséquent pas plates mais cylindriques. D’aucunes ont la forme de dawida-s (= petits vers) et se confondent avec les fidaw-s vermiformes ci-dessus. En Italie, ils sont connus sous le nom de trophie qui, encore à ce jour sont roulés (contrairement aux vermicelles tréfilés). D’autres sont filiformes et évoquent les spaghettis (tréfilés).

Les modernes aletria ou alatria ibériques (surnommées capellini alors qu’elles se rapprochent plutôt des tagliolini ou cheveux d’ange) font, elles aussi, partie de la pasta tréfilée appartenant à la dernière génération

d. pâtes tréfilées

Celles-ci entrent en scène à la fin du XVI° siècle; c’est alors que la presse à filière est inventée à Naples. Grâce à cette machine ingénieuse, la pâte est poussée à travers un disque en bronze perforé dont les trous ont la forme des paste que l’on veut obtenir : fils pleins plus ou moins fins (spaghettis, capellini, fedelini, dont le nom pourrait bien être dérivé de filo (les filei calabresi sont par contre des pâtes laminées, découpées en bandelettes plates et courtes, qui sont roulées sur elle-même),vermicelles courts ou longs, cheveux d’ange (tagliolini) – voire coquilles, tubes, cordes, lanières, plumes, tortillons etc.

disque pour presse

disque pour presse

On suppose qu’à la même époque apparaît un autre appareil : la chittara (guitare) qui, malgré son nom, évoque plutôt une harpe. Il s’agit d’un châssis en bois triangulaire sur lequel sont tendus des fils de fer serrés les un contre les autres; une feuille de pâte de dimension proportionnelle y est collée en sorte qu’elle se décompose en très minces et longues lanières ou taglierini (= fines tagliatelles) quoique dans le sud de la péninsule (Abruzzes, Pouilles), ces pâtes soient toujours fabriquées de cette façon, on les appelle incorrectement spaghetti alla chitara; elles ne sont en effet pas cylindriques mais plates.

fabrication de maccheroni alla chitarra

fabrication de maccheroni alla chitarra

3) Pâtes à potage, pâtes « à ragoût », pastacciutta

Ensuite, il y a les pâtes in brodo (= littéralement en bouillon, c’est-à-dire les pâtes à potage), les pâtes « à ragoût » qui en sont une variété et pastasciutte (égouttées).

A l’origine, les pâtes sont systématiquement servies dans un potage plus ou moins épais, qui peut aller d’un bouillon clair à un ragoût roboratif. Les pâtes « à ragoût » sont la spécialité, par excellence, de la gastronomie abbasside et magrébo-andalouse. Elles cuisent avec des matières végétales ou carnées dans un jus souvent tellement court qu’elles finissent par l’absorber complètement. Ces paste doivent donc de préférence être pauvre en amidon, qui donnerait de l’empois à la sauce finale.

Au bas Moyen Age, les pastasciutte se développent en Italie.

Les recettes anciennes ne distinguent pas toujours clairement paste in brodo, pâtes « à ragoût » et pastasciutte; elles prescrivent d’ailleurs de parsemer de fromage râpé (parmigiano grattugiato) les unes comme les autres

Quant à l’incontournable salsa di pomodoro (= tomate) est plus récente et ne se généralise pas avant le XIX° siècle.

4) Les pâtes farcies et pâtes trouées

Les pâtes farcies (raviolis, cannellonis) et les pâtes trouées (macaronis) n’apparaissent pas avant la fin du Moyen Âge voire du début du Rinascimento.

5) Pâtes molles versus pâtes al dente

Pendant des siècles, les pâtes sont cuites longuement et ne sont donc pas al dente, comme aujourd’hui. Encore au XX° siècle, elles sont souvent mangées molles. Voyez les fameux macaronis à la cassonade très appréciés en Belgique il y a à peine quelques décennies. Le mariage pâte/sucre n’est cependant pas une spécificité belge; les chefs de la Renaissance en sont déjà adeptes et l’on probablement hérité des anciens. Certaines recettes antiques de tracta sont en effet sucrées; l’édulcorant utilisé est le miel, la canne (et bien sûr la betterave plus récente encore) étant alors alors inconnues

6) Conclusion

Ce rapide parcours historique met complètement à néant la légende aussi fameuse que tenace d’un Marco Polo ayant ramené en 1296 les pâtes de Chine, alors qu’elles étaient connues depuis longtemps dans tout le bassin méditerranéen.

En fait, la légende « marcopolienne » provient d’une mauvaise lecture des écrits du globe-trotter et avaient déjà fait l’objet de critiques au XVI° siècle; mais elles ne seront pas entendues et n’empêcheront pas, au début du XX° siècle, le Macaroni Journal, l’organe de presse de l' »American Macaroni Manufacturers Association », de la diffuser dans tout l’occident pour assurer sa propre propagande.

Il est vrai que la Chine possède également une longue tradition pastière dont les origines ne semblent toutefois remonter qu’au III° siècle après notre ère; les traces plus anciennes restent sujettes à caution. Ainsi, cette découverte récente par des archéologues chinois de lacets, d’un diamètre de 0,3 cm et d’une longueur de 50 cm, dans un bol en terre cuite qui provient du site de Laija dans le nord-ouest de la Chine (près du fleuve jaune), daterait de -2000 ans. Les experts chinois y voient des nouilles faites avec de la farine de millet. Leur argumentation semble toutefois plus spéculative que scientifique.

Nouilles chinoises préhistoriques

Nouilles chinoises « préhistoriques »

source : revue Nature