Last Updated on 28 novembre 2021 by Sophie

 Les différentes pâtes en Italie au Moyen Âge et Rinascimento

1. Tria et maccaroni romaneschi

Le Liber traduit les itriyya-s orientales par tri(a), mais ne précise pas leur mode de fabrication. Il est  représenté par une miniature  réalisée au XIVe siècle en Italie et illustrant le Tacuinum sanitatis, traduction latine  d’un traité de diététique élaboré par le médecin arabe Ibn Butlan au XIe siècle la demande probable de Manfred, fils  de Fréderic II et roi de Sicile. On   y voit non seulement  l’action du pétrissage mais aussi celle de l’abaissement  de la pâte sur une table. Si la phase  intermédiaire du découpage  est malheureusement  escamotée, celle du séchage final sur une échelle en bois est montrée et permet d’en connaître l’allure: ce sont effectivement  de longues et étroites bandelettes du type linguine.

Au XVe siècle, maestro Martino en donne une  recette retoilettée

L’abaisse de pâte est enroulée autour  d’un gros bâton  qui est aussitôt retiré. Le boudin de pâte ainsi obtenu est ensuite découpé en rondelles plus ou moins larges qui,  après avoir été débobinées, forment des  tagliatelles de différentes largeurs.

tria

tria

Martino rebaptise en outre  le tria :   maccaroni romaneschi  (à la romaine), alors qu’elles sont devenues via les Arabes une spécialité sicilienne. C’est probablement parce qu’au Quattrocento (XVe siècle)  Rome prend la succession  de Gênes;  dans le  port de la Ville éternelle   les navires en provenance de Sicile débarquent désormais   les fameuses pâtes insulaires.

L’appellation  tria ne disparaît pas pour autant.

Aujourd’hui,  certaines  paste allongées circulent toujours sous leur nom médiéval de tria  dans le Mezzogiorno (cf. Pouilles).

2. Vermicelli ou vermisseaux

Les fidaw-s maghrébo-andalous s’introduisent  également  en Sicile et, pour commencer,  les fidaw-s vermiformes. Ils sont traduits en latin par tri(a) de vermiculi et en italien par tri(a) di vermiccelli qui deviennent  rapidement vermiculi ou vermiccelli tout court, signifiant vermisseaux.  Le  Liber  les  surnomme ancia et  n’en donne pas davantage le mode de fabrication. C’est une fois de plus maestro Martino qui s’en charge.  Pour faire des  vermicelli ,  il prescrit de  réaliser d’abord une abaisse, de la détailler en bandes de pâte qui, après avoir été étirée finement (filala sottile ),  est façonnée en petits bouts (pezoli peccini ) ayant la forme de vermisseaux (a modo di vermicelli ) fins voire très fins.

Malgré une évidente homonymie, ces vermiccelli ne correspondent  donc pas aux modernes vermicelles qui sont tréfilés.

3. Atriyya-s et maccaroni siciliani

Les atriyya-s maghrébo-andalouses roulées à la main  débarquent, à leur tour, en Sicile, comme il résulte une fois de plus du livre de cuisine de  maestro Martino qui les appelle  en effet  maccaroni siciliani . La recette stipule de les   rouler à la main, selon les règles de l’art posées  par Ibn Tujibi. Le maître queux italien  lance par la même occasion les premiers macaronis troués.

Des petits pâtons (patoncelli ) sont façonnés en forme de paille et creux comme elle. Ils sont percés au moyen d’un fil de fer et roulés sur la table avec les deux mains. Le fil de fer est ensuite  retiré avec délicatesse.

4. Triti et formentine

En outre,  maestro Martino  signale des fidaw-s graniformes sous l’intitulé de  maccaroni in altro modo; il  ajoute que “si chiamano triti o formentine”, qui   se réfèrent tous deux au froment (= triticum   en latin).

La recette n’est cependant pas aussi claire que celle d’Ibn Razin. Martino se borne à écrire que la pâte est “tagliata molto minuta et sottile”, sans faire allusion à un façonnage en forme de grains;  il  résulte uniquement de l’appellation signalée dans la recette.

Les modernes puntalette et  risoni en descendent; mais ils sont  fabriqués mécaniquement.

5. Las(s)ana ou lagana

Le Liber de coquina est par ailleurs le premier réceptaire tardo-médiéval  à reprendre les antiques   lagana qui sont désormais  également  orthographiées lasana ou lassana .  Cette évolution orthographique s’est probablement faite sous l’influence de l’arabe lauzinaj ,  une  fine feuille de pâte farcie  de massepain (law signifie amande), pliée en forme de losange (également dérivé de lauzinaj ) et frite dans l’huile.

Le  Liber   décrit  aussi bien   des   lasana   fourrées d’amandes pilées et frites, à la façon des lauzinaj , que des lasana bouillies   inaugurant les lasagnes modernes

Sous le titre De lasanis, il  conseille de découper des lasana  en tranches carrées d’une dimension de trois doigts, de les cuire dans de l’eau bouillante salée et de les servir avec de fromage râpé.  C’est sans doute la plus ancienne recette de lasagnes al formaggio !

Une autre  formule  propose de disposer les unes sur les autres des lasana bouillies et de les séparer simplement par une couche d’épices (non spécifiées): elles inaugurent les  lasagne pasticciate.

La torta de lassanis perpétue, pour sa part,  le procédé antique de la  pasta dans la pasta.….  Elle  est construite avec des lassana se superposant les unes sur les autres et séparées par une farce composée œufs,  de raviolis,  de fromage,  de lard et d’épices.

Normalement ces lasagnes sont cuites dans un moule entièrement  chemisé de pâte. Le Liber procède de façon plus originale : c’est une saucisse  (suffisamment longue et épaisse) qui  enroule la préparation  et lui sert de support (de mur,   dit le texte).  Sa  torta de lassanis est, en outre, surmontée de figurines en pâte représentant des animaux…

6. Par contre, ni  le Liber de coquina  ni maestro Martino ne font aucune allusion à la pasta   grattugiata qui  est forcément   connue  au Moyen Âge puisqu’elle subsiste aujourd’hui.

7.   Raviolis

Ravioli vient probablement du latin russus (= roux) vulgarisé en rufus  qui donnera en bas latin rufeola , russeola ou rasseola, attestés au début du Moyen Âge et à l’origine respectivement de rissole en français et de rafioli  puis ravioli en italien. En effet,  primitivement les raviolis sont  frits à l’huile et ont donc une couleur dorée voire rousse.

Le Liber de coquina…. en distingue plusieurs types,  parmi lesquelles figurent  encore plusieurs  variétés frites:

– des petites saucisses farcies de tripes de porc, enfermées dans une crépine et rissolées dans l’huile;   ce sont les descendants des crépinettes romaines ou esicia .

–  des rissoles ou beignets  composés d’une farce de viande ou de fruits enveloppée dans une pâte (in tortello paste ) passée à la friture.  Le Liber  précise que la pâte est la même que celle utilisée pour les lasagnes.

– par ailleurs, le Liber  parle  de raviolas albos , raviolis blancs. Il s’agit de quenelles, car  la farce  n’est  ni  enrobée de pâte ni enveloppée dans une crépine; eux,  aussi,  descendent en droite ligne des esicia  antiques

– enfin, le Liber fait allusion à des raviolis  préparés avec une farce à base de  chair de porc et de fromage, avec laquelle on fait  des crépinettes ou des saucisses ou des raviolas vel tortam (raviolis ou tourte, par définition   enrobée de pâte). L’auteur ajoute qu’on peut non seulement les frire mais aussi les bouillir. Autrement dit,  la dernière catégorie vise    de raviolis  du type paste.

Le Liber ne mentionne donc les raviolis bouillis que de manière  accessoire.

Ce n’est pas le cas de deux manuscrits contemporains (XIIIe siècle) mais d’origine anglo-normande. Ils sont rédigés en français d’oïl, la langue  officielle le la cour d’Angleterre  depuis le règne de Guillaume le Conquérant,  duc de Normandie (XIe siècle). Ainsi, les “kuskenoles” fourrés de fruits secs et  frais sont bouillis dans de l’eau, tout en subissant un passage final sous le gril.  Ils dérivent de l’arabe  khashkinaj, un ravioli frit, donc une rissole,  également remplie de fruits secs. On  les retrouve   seulement en Italie  au  XIVe siècle sous le  nom de quinquinelli ou  schinschinelli qui sont frits, comme le  khashkinaj.

On peut dès lors se demander si l’idée de cuire les raviolis en milieu humide ne viendrait  pas des Franco-Normands. Ceux-ci auraient très bien pu inaugurer cette façon lors de leur occupation de la Sicile, l’”île aux itriyya-s “ , qu”ils conquièrent quelques années seulement après l’Angleterre (1066): entre 1043 et 1059. (Les Franco-Normands y restent jusqu’en 1194).

Les culurzones ou culingionis sardes, des raviolis farcis aux fruits secs et bouillis, descendant manifestement des “kuskenoles”.

Par la suite, les raviolis bouillis se généralisent progressivement en Italie et   adoptent des formes variées: demi-lune, chausson, carré. Maestro Martino ne les veut pas plus  pas  plus gros qu’une demi-châtaigne       .

Histoire de Lancelot, Lombardie, 1370

Histoire de Lancelot, Lombardie, 1370

8. La “fourchette” à pâtes

A l’origine les pâtes  filiformes sont appréhendées avec les mains et  entortillées   autour du doigt. Cette technique exige évidemment   apprentissage et  adresse. C’est pour faciliter la tâche ardue à laquelle est confrontée le mangeur de macaronis  qu’est créée la “fourchette” à pâtes. Le Liber  de coquina est le premier  à y faire allusion: il décrit un  instrument en forme de tige se terminant par une pointe  permettant  de  piquer et  puis d’enrouler les paste.  Par la suite la pointe  sera remplacée par deux,  puis trois  dents et donnera naissance à la moderne fourchette qui servira aussi à d’autres usages.

fourchette à pâte

fourchette à pâte