Les différentes pâtes en Italie au Moyen Âge et Rinascimento
1. Tria et maccaroni romaneschi
Le Liber traduit les itriyya-s orientales par tri(a), mais ne précise pas leur mode de fabrication. Il est représenté par une miniature réalisée au XIVe siècle en Italie et illustrant le Tacuinum sanitatis, traduction latine d’un traité de diététique élaboré par le médecin arabe Ibn Butlan au XIe siècle la demande probable de Manfred, fils de Fréderic II et roi de Sicile. On y voit non seulement l’action du pétrissage mais aussi celle de l’abaissement de la pâte sur une table. Si la phase intermédiaire du découpage est malheureusement escamotée, celle du séchage final sur une échelle en bois est montrée et permet d’en connaître l’allure: ce sont effectivement de longues et étroites bandelettes du type linguine.
Au XVe siècle, maestro Martino en donne une recette retoilettée
L’abaisse de pâte est enroulée autour d’un gros bâton qui est aussitôt retiré. Le boudin de pâte ainsi obtenu est ensuite découpé en rondelles plus ou moins larges qui, après avoir été débobinées, forment des tagliatelles de différentes largeurs.
Martino rebaptise en outre le tria : maccaroni romaneschi (à la romaine), alors qu’elles sont devenues via les Arabes une spécialité sicilienne. C’est probablement parce qu’au Quattrocento (XVe siècle) Rome prend la succession de Gênes; dans le port de la Ville éternelle les navires en provenance de Sicile débarquent désormais les fameuses pâtes insulaires.
L’appellation tria ne disparaît pas pour autant.
Aujourd’hui, certaines paste allongées circulent toujours sous leur nom médiéval de tria dans le Mezzogiorno (cf. Pouilles).
2. Vermicelli ou vermisseaux
Les fidaw-s maghrébo-andalous s’introduisent également en Sicile et, pour commencer, les fidaw-s vermiformes. Ils sont traduits en latin par tri(a) de vermiculi et en italien par tri(a) di vermiccelli qui deviennent rapidement vermiculi ou vermiccelli tout court, signifiant vermisseaux. Le Liber les surnomme ancia et n’en donne pas davantage le mode de fabrication. C’est une fois de plus maestro Martino qui s’en charge. Pour faire des vermicelli , il prescrit de réaliser d’abord une abaisse, de la détailler en bandes de pâte qui, après avoir été étirée finement (filala sottile ), est façonnée en petits bouts (pezoli peccini ) ayant la forme de vermisseaux (a modo di vermicelli ) fins voire très fins.
Malgré une évidente homonymie, ces vermiccelli ne correspondent donc pas aux modernes vermicelles qui sont tréfilés.
3. Atriyya-s et maccaroni siciliani
Les atriyya-s maghrébo-andalouses roulées à la main débarquent, à leur tour, en Sicile, comme il résulte une fois de plus du livre de cuisine de maestro Martino qui les appelle en effet maccaroni siciliani . La recette stipule de les rouler à la main, selon les règles de l’art posées par Ibn Tujibi. Le maître queux italien lance par la même occasion les premiers macaronis troués.
Des petits pâtons (patoncelli ) sont façonnés en forme de paille et creux comme elle. Ils sont percés au moyen d’un fil de fer et roulés sur la table avec les deux mains. Le fil de fer est ensuite retiré avec délicatesse.
4. Triti et formentine
En outre, maestro Martino signale des fidaw-s graniformes sous l’intitulé de maccaroni in altro modo; il ajoute que “si chiamano triti o formentine”, qui se réfèrent tous deux au froment (= triticum en latin).
La recette n’est cependant pas aussi claire que celle d’Ibn Razin. Martino se borne à écrire que la pâte est “tagliata molto minuta et sottile”, sans faire allusion à un façonnage en forme de grains; il résulte uniquement de l’appellation signalée dans la recette.
Les modernes puntalette et risoni en descendent; mais ils sont fabriqués mécaniquement.
5. Las(s)ana ou lagana
Le Liber de coquina est par ailleurs le premier réceptaire tardo-médiéval à reprendre les antiques lagana qui sont désormais également orthographiées lasana ou lassana . Cette évolution orthographique s’est probablement faite sous l’influence de l’arabe lauzinaj , une fine feuille de pâte farcie de massepain (law signifie amande), pliée en forme de losange (également dérivé de lauzinaj ) et frite dans l’huile.
Le Liber décrit aussi bien des lasana fourrées d’amandes pilées et frites, à la façon des lauzinaj , que des lasana bouillies inaugurant les lasagnes modernes
Sous le titre De lasanis, il conseille de découper des lasana en tranches carrées d’une dimension de trois doigts, de les cuire dans de l’eau bouillante salée et de les servir avec de fromage râpé. C’est sans doute la plus ancienne recette de lasagnes al formaggio !
Une autre formule propose de disposer les unes sur les autres des lasana bouillies et de les séparer simplement par une couche d’épices (non spécifiées): elles inaugurent les lasagne pasticciate.
La torta de lassanis perpétue, pour sa part, le procédé antique de la pasta dans la pasta.…. Elle est construite avec des lassana se superposant les unes sur les autres et séparées par une farce composée œufs, de raviolis, de fromage, de lard et d’épices.
Normalement ces lasagnes sont cuites dans un moule entièrement chemisé de pâte. Le Liber procède de façon plus originale : c’est une saucisse (suffisamment longue et épaisse) qui enroule la préparation et lui sert de support (de mur, dit le texte). Sa torta de lassanis est, en outre, surmontée de figurines en pâte représentant des animaux…
6. Par contre, ni le Liber de coquina ni maestro Martino ne font aucune allusion à la pasta grattugiata qui est forcément connue au Moyen Âge puisqu’elle subsiste aujourd’hui.
7. Raviolis
Ravioli vient probablement du latin russus (= roux) vulgarisé en rufus qui donnera en bas latin rufeola , russeola ou rasseola, attestés au début du Moyen Âge et à l’origine respectivement de rissole en français et de rafioli puis ravioli en italien. En effet, primitivement les raviolis sont frits à l’huile et ont donc une couleur dorée voire rousse.
Le Liber de coquina…. en distingue plusieurs types, parmi lesquelles figurent encore plusieurs variétés frites:
– des petites saucisses farcies de tripes de porc, enfermées dans une crépine et rissolées dans l’huile; ce sont les descendants des crépinettes romaines ou esicia .
– des rissoles ou beignets composés d’une farce de viande ou de fruits enveloppée dans une pâte (in tortello paste ) passée à la friture. Le Liber précise que la pâte est la même que celle utilisée pour les lasagnes.
– par ailleurs, le Liber parle de raviolas albos , raviolis blancs. Il s’agit de quenelles, car la farce n’est ni enrobée de pâte ni enveloppée dans une crépine; eux, aussi, descendent en droite ligne des esicia antiques
– enfin, le Liber fait allusion à des raviolis préparés avec une farce à base de chair de porc et de fromage, avec laquelle on fait des crépinettes ou des saucisses ou des raviolas vel tortam (raviolis ou tourte, par définition enrobée de pâte). L’auteur ajoute qu’on peut non seulement les frire mais aussi les bouillir. Autrement dit, la dernière catégorie vise de raviolis du type paste.
Le Liber ne mentionne donc les raviolis bouillis que de manière accessoire.
Ce n’est pas le cas de deux manuscrits contemporains (XIIIe siècle) mais d’origine anglo-normande. Ils sont rédigés en français d’oïl, la langue officielle le la cour d’Angleterre depuis le règne de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie (XIe siècle). Ainsi, les “kuskenoles” fourrés de fruits secs et frais sont bouillis dans de l’eau, tout en subissant un passage final sous le gril. Ils dérivent de l’arabe khashkinaj, un ravioli frit, donc une rissole, également remplie de fruits secs. On les retrouve seulement en Italie au XIVe siècle sous le nom de quinquinelli ou schinschinelli qui sont frits, comme le khashkinaj.
On peut dès lors se demander si l’idée de cuire les raviolis en milieu humide ne viendrait pas des Franco-Normands. Ceux-ci auraient très bien pu inaugurer cette façon lors de leur occupation de la Sicile, l’”île aux itriyya-s “ , qu”ils conquièrent quelques années seulement après l’Angleterre (1066): entre 1043 et 1059. (Les Franco-Normands y restent jusqu’en 1194).
Les culurzones ou culingionis sardes, des raviolis farcis aux fruits secs et bouillis, descendant manifestement des “kuskenoles”.
Par la suite, les raviolis bouillis se généralisent progressivement en Italie et adoptent des formes variées: demi-lune, chausson, carré. Maestro Martino ne les veut pas plus pas plus gros qu’une demi-châtaigne .
8. La “fourchette” à pâtes
A l’origine les pâtes filiformes sont appréhendées avec les mains et entortillées autour du doigt. Cette technique exige évidemment apprentissage et adresse. C’est pour faciliter la tâche ardue à laquelle est confrontée le mangeur de macaronis qu’est créée la “fourchette” à pâtes. Le Liber de coquina est le premier à y faire allusion: il décrit un instrument en forme de tige se terminant par une pointe permettant de piquer et puis d’enrouler les paste. Par la suite la pointe sera remplacée par deux, puis trois dents et donnera naissance à la moderne fourchette qui servira aussi à d’autres usages.